Du 30 août au 7 septembre, Paris devient l'épicentre d'une mobilisation internationale contre l'un des fléaux les plus insidieux de notre époque : les disparitions forcées. Cette semaine d'action, qui coïncide avec la Journée internationale des victimes de disparition forcée le 30 août, rassemble des familles de disparus venues des quatre coins du monde, unies dans leur quête inlassable de vérité et de justice.
L'événement s'est ouvert sur une note poignante avec la projection du documentaire « Moi, sœur Alice disparue en Argentine 1977 » ce 29 août. Ce film, présenté par le réalisateur Alberto Marquardt, plonge le spectateur dans l'odyssée déchirante d'une famille à la recherche d’un être cher, une religieuse en l’occurrence, enlevée par un commando de la Marine durant la sombre période de la dictature argentine. Il donne le ton à une semaine qui s'annonce riche en émotions et en débats.
Le lendemain, le siège d'Amnesty International accueille une conférence intitulée « La lutte contre l'impunité, quels outils ? ». Des figures de proue de la défense des droits humains, telles que Geneviève Garrigos, Emmanuel Decaux, William Bourdon et Obeida Dabbagh, se penchent sur l'arsenal juridique et politique nécessaire pour combattre ce crime contre l'humanité. Leur expertise éclaire les chemins tortueux de la justice internationale et les obstacles à surmonter pour que les responsables répondent enfin de leurs actes.
Le point d'orgue de la semaine se tient le 31 août, Place de la République. Ce haut lieu symbolique de la capitale française se transforme en un forum vivant où se mêlent témoignages poignants, expositions saisissantes et projections éclairantes. Des familles kurdes, marocaines, algériennes, syriennes, égyptiennes, irakiennes et latino-américaines convergent vers ce carrefour de la mémoire pour partager leurs histoires et sensibiliser le public à l'ampleur du phénomène.
« Chaque disparition forcée est une tragédie qui transcende les frontières », confie une mère syrienne, le regard empreint de détermination. « Nous sommes ici pour rappeler au monde que nos proches ne sont pas des statistiques, mais des êtres humains dont la vie a été brutalement interrompue. »
La semaine se poursuit avec d'autres temps forts, notamment une soirée de projections et d'échanges aux Amarres le 5 septembre, offrant une plateforme supplémentaire aux familles pour faire entendre leur voix. L'événement se clôture le 7 septembre à la Fête des Associations de Montreuil, où un stand d'information prolonge le dialogue avec le public.
Un fléau mondial aux chiffres vertigineux
Cette mobilisation s'inscrit dans un contexte international préoccupant. Selon les chiffres d'Amnesty International, la Syrie compte à elle seule près de 82 000 disparus depuis 2011, tandis que le Sri Lanka déplore entre 60 000 et 100 000 cas depuis la fin des années 1980. Ces chiffres vertigineux illustrent l'ampleur d'un phénomène qui gangrène des sociétés entières, laissant des familles suspendues entre espoir et désespoir.
La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée par l'ONU en 2006, offre un cadre juridique pour lutter contre ce fléau. Cependant, comme le souligne un représentant de la Fédération euro-méditerranéenne contre les disparitions forcées (FEMED), « l'adoption de textes ne suffit pas. Nous avons besoin d'une volonté politique forte pour que ces instruments juridiques se traduisent en actions concrètes sur le terrain. »
L'Algérie : un cas emblématique de la lutte pour la vérité
En Algérie, pays marqué par près de 10 000 disparitions durant la décennie noire des années 1990, la lutte prend une dimension particulière. Le Collectif des Familles de Disparu(e)s en Algérie (CFDA), créé en 1998, continue de se battre contre une Charte pour la Paix et la Réconciliation nationale qui, selon eux, consacre l'impunité au détriment de la vérité.
Au cœur d'une lutte acharnée pour la vérité, Nassera Dutour, figure de proue du Collectif des Familles de Disparu(e)s en Algérie (CFDA), a interpellé le président Abdelmadjid Tebboune dans un plaidoyer poignant le 2 juillet 2024. Mère d'Amine Amrouche, volatilisé depuis le 30 janvier 1997, elle incarne la voix de milliers de familles meurtries par l'absence. Son appel, d'une simplicité désarmante, résonne comme un cri du cœur : elle exhorte le président à s'engager dans l'identification des tombes anonymes du cimetière d'El Alia, afin de permettre aux familles d'offrir une sépulture digne à leurs proches disparus.
Cette requête s'inscrit dans le sillage d'un chapitre sombre de l'histoire algérienne, dont les séquelles demeurent vives plus de vingt ans après les faits. La période tumultueuse qui a ébranlé le pays de 1991 à 2002 a engendré un tribut humain colossal, avec des estimations oscillant entre 100 000 et 200 000 victimes. Ces chiffres vertigineux témoignent de l'ampleur du cataclysme qui s'est abattu sur la nation, laissant dans son sillage des plaies béantes qui peinent encore à se refermer.
La loi du silence face à la quête de vérité
Pourtant, malgré l'immensité de ce drame, les familles des victimes se heurtent à un mur de silence, érigé par les autorités elles-mêmes. La Charte pour la paix et la réconciliation nationale, signée en 2005, a scellé une amnistie générale, accordant l'impunité tant aux islamistes repentis qu'aux militaires accusés d'exactions. Cette politique d'amnésie forcée a été renforcée en 2017 par une interdiction formelle de toute évocation de cette période sombre.
L'appel de Nassera Dutour ravive donc un débat que les instances gouvernementales algériennes tentent de reléguer aux oubliettes. Cette démarche met en exergue le fossé grandissant entre la volonté des autorités de clore ce chapitre douloureux de l'histoire nationale et l'aspiration légitime des familles à élucider le sort de leurs proches disparus.
Dans ses déclarations, Nassera Dutour souligne avec véhémence que leur quête n'est pas motivée par un désir de représailles, mais par un besoin fondamental de vérité. Elle insiste sur le fait que la connaissance du destin de leurs êtres chers constitue un droit inaliénable et non une faveur à accorder.
Un combat de longue haleine
Alors que la semaine internationale des victimes de disparitions forcées touche à sa fin, une chose est claire : la lutte contre les disparitions forcées est loin d'être terminée. Cette mobilisation parisienne et l'appel de Nassera Dutour ne sont que des étapes dans un combat de longue haleine. Pour les familles des disparus, en Algérie comme ailleurs, chaque jour qui passe est un rappel douloureux de l'absence, mais aussi une raison de plus de continuer à se battre. Car comme le résume si bien leur slogan : « Ni oubli, ni pardon. Vérité et justice. »
Sophie K.