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La Charte algérienne: Une paix de façade, 19 ans après


Dans les rues d'Alger, le silence assourdissant de la paix contraste avec les échos lointains d'une décennie sanglante. Dix-neuf ans après l'adoption de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, l'Algérie se trouve confrontée à un paradoxe douloureux : la paix règne, mais la réconciliation demeure une chimère insaisissable. 

 

Le 29 septembre 2005, les Algériens ont plébiscité la Charte pour la paix et la réconciliation nationale avec un taux d'approbation vertigineux de 97,38%. Ce chiffre, d'une unanimité presque surréaliste, masque une réalité plus complexe et déchirante. L'amnistie accordée à environ 25 000 terroristes a certes vidé les maquis, mais a aussi laissé un goût amer dans la bouche de nombreuses victimes.

 

Cette politique d'amnistie, présentée comme un mal nécessaire pour la paix, soulève des questions éthiques profondes. Comment une société peut-elle se reconstruire sur les fondations d'une justice niée ? La réintégration des anciens combattants, bien qu'essentielle à la stabilité, ne peut se faire au détriment des victimes sans risquer de perpétuer un cycle de ressentiment et d'injustice.

 

Les disparus : Une plaie béante dans le tissu social

 

« Mon fils n'est pas un dossier qu'on peut classer », s'insurge Fatima, mère d'un disparu. Son cri résonne comme celui de milliers d'autres familles, prisonnières d'un deuil impossible. La charte, censée apporter des réponses, n'a fait que soulever plus de questions. L'extinction des poursuites judiciaires pour certains actes liés au conflit a de facto fermé la porte à toute possibilité de justice pour ces familles, les condamnant à errer dans les limbes de l'incertitude.

 

Le phénomène des disparitions forcées laisse des cicatrices psychologiques profondes non seulement sur les familles directement touchées, mais sur l'ensemble du tissu social. L'absence de résolution crée un état de suspens perpétuel, empêchant la société de tourner véritablement la page. Cette situation alimente une méfiance latente envers les institutions de l'État, perçues comme complices d'un déni de justice.

 

Le silence imposé : Un obstacle à la catharsis nationale

 

« On nous demande d'oublier, mais comment oublier quand on n'a même pas eu le droit de se souvenir ? », s'interroge Ahmed, fils d'une victime du terrorisme. La charte, en interdisant de fait toute remise en question du processus de réconciliation, a créé une chape de plomb sur la société algérienne. Ce silence forcé empêche le travail de mémoire nécessaire à une véritable guérison nationale.

 

L'imposition d'un narratif officiel unique, sous couvert de préserver la paix sociale, a pour effet pervers d'étouffer les voix discordantes et les témoignages essentiels à la compréhension collective du passé. Cette politique du silence nie la complexité de l'histoire récente de l'Algérie et entrave la création d'une mémoire partagée, pourtant cruciale pour une réconciliation authentique.

 

Le rôle crucial des associations de victimes

 

Face à ce silence institutionnel, les associations de victimes et de familles de disparus jouent un rôle vital dans la préservation de la mémoire et la quête de vérité. Des organisations comme le Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie (CFDA) et Djazaïrouna ont émergé comme des acteurs incontournables de la société civile algérienne.

 

Ces associations, malgré les obstacles légaux et administratifs, continuent de militer pour la reconnaissance des souffrances endurées, la documentation des cas de disparitions, et l'établissement de la vérité. Leurs actions, allant des rassemblements hebdomadaires aux plaidoyers internationaux, maintiennent la question des disparus et des victimes au cœur du débat public, défiant la politique d'oubli imposée.

 

Vers une réconciliation authentique : Repenser le modèle

 

Dix-neuf ans après, le bilan de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale est mitigé. Si elle a incontestablement contribué à ramener le calme dans le pays, elle n'a pas réussi à panser toutes les plaies. La paix ne peut être durable sans justice, sans vérité, et sans un véritable travail de mémoire collective.

 

Pour avancer vers une réconciliation authentique, l'Algérie pourrait s'inspirer d'autres modèles de justice transitionnelle, adaptés à son contexte spécifique. Des approches comme les commissions vérité et réconciliation, les programmes de réparation, et les réformes institutionnelles pourraient offrir un cadre plus holistique pour adresser les séquelles du conflit.



Sophie K.

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